De tout, de rien et parfois du linge sale lavé en public.
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vendredi 15 juin 2012

The Virgin Suicides

Essai écrit dans le cadre de l'université.

The Virgin Suicides de Sofia Coppola
(ou le mal de vivre au cinéma..)


ET SI L'ADOLESCENCE ÉTAIT LE TEMPS OÙ IL FAUT CHOISIR ENTRE VIVRE ET MOURIR ? 1
C'est ainsi que l'on pourrait résumer l’œuvre de Sofia Coppola. Retour en 1999 où cette jeune réalisatrice en herbe, mais non moins talentueuse, adapte le roman The Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides au cinéma.



Benjamine d'une fratrie de cinq filles, Cecilia Lisbon se suicide. Dans une banlieue américaine puritaine et bourgeoise des années 70 le reste des sœurs, de jolies blondes en mal de vivre, sont soumises à l'autorité possessive de leur mère et finissent enfermées dans la demeure familiale. Ce drame nous est conté par une bande d'adolescents qui sont prêts à tout pour faire la connaissance des mystérieuses sœurs Lisbon.

Sofia Coppola a souhaité rester très proche du roman. Cependant le livre a été écrit par un homme et le film réalisé par une femme il y a donc logiquement une différence de perception. La réalisation est parfaitement maîtrisée, minutieusement calculée et complètement graphique. Elle est d'abord dirigée par le bon goût d'un regard féminin, aiguisé par l'élégance et qui parvient à transposer l'univers de cinq jeunes filles en fleurs, blondes comme les blés. L'image valse entre la douce rêverie et le fantasme, entre le mystère et l'angoisse, mais résonne toujours d'une certaine mélancolie. De celle qui se caractérise par la capacité à regarder son destin et en accepter sans joie ni désespoir son « inexorable accomplissement »2. Cela ne trompe pas, Sofia Coppola sera gratifiée en 2001 du MTV Movie Awards Meilleur Réalisateur.

Toutefois, la réalisation garde un point de vue masculin car l'histoire nous est raconté par quatre garçons qui mélangent leurs propres souvenirs à ceux trouvés dans le journal de Cecilia. En découvrant ses écrits intimes le spectateur est mis au rang de voyeur, de curieux. Des passages y décrivent Lux - la quatrième des sœurs - dans son intimité, dans des positions et des attitudes qui la subliment en beauté et excitent l'imagination des garçons.

Dans cette œuvre, le matérialisme et l'obsession pour l'apparence parfaite sont largement critiqués. The Virgin Suicides sera l'exception du genre "teen-movie" (film pour ado) inventé par les américains, où ces valeurs sont en général portées à limite de l'adulation. Josh Harnett est excellent dans l'incarnation DU beau gosse dont toutes les filles tombent amoureuses : Trip. Toutes, sauf Lux interprétée par Kristen Dunst. Chapeau pour le jeu d'acteur de cette dernière, qui saura apporter le charme et le mystère suffisant à l'inaccessible adolescente de quatorze ans que rien n’effraie. Lux est, bien plus que ses sœurs, l'incarnation du mal-être adolescent.

La musique, composée par le groupe Air, remplace avec finesse la parole. En effet The Virgin Suicides ne brille pas par la longueur de ses dialogues. Il est presque étouffant de sentir le poids du manque de communication familiale.
Entre un père absent (James Woods) et la domination excessive de la mère (Kathleen Turner), les adolescentes sont contraintes au silence. De même, il est suffocant de constater que cet univers est toxique et que même les arbres du quartier ne sauront survivre à cette contagion et finiront abattus un à un. L'ambiance sonore sait compléter parfaitement la description du monde asphyxiant dans lequel les filles survivent.

Par dessus tout, le refoulement des pulsions aboutit au strict effet contraire de celui recherché. Les parents semblent ignorer ce principe car les tabous et les interdits sont nombreux pour les sœurs. Et qu'est-ce-qu'un adolescent sinon cet être hypersensible en proie à la liberté et toujours tiraillé entre l'enfance protectrice qu'il a connu et l'appel excitant des ''premières fois'' ? C'est à en perdre la tête ! Qui l’on est et où l’on va ? On ne le sait pas à quatorze ans, tout ce que l’on désire, c’est de l’amour. Mais dans un monde fait d’obligations (scolaires, familiales, religieuses) où les désirs personnels ne sont jamais pris en compte, cet amour n'existe pas, malgré ce qu'en dit la mère. Que peut-on faire de sa vie lorsque l'on est privé de contact extérieur ? Quelle perspective d'avenir pouvons-nous envisager ? C'est d'une terrible tristesse. A ce moment là, le suicide n'est plus un appel au secours : il est le seul échappatoire possible et la solution choisie par les quatre sœurs.

En réponse à Vincent Ostria dans L'Humanité (27/09/2000) qui décrira ce film comme « cucul romantique » je dirai que non, ce film n'est pas vain et a le mérite d'attribuer au mal de vivre adolescent une représentation cinématographique de qualité 3. Bien sûr The Virgin Suicides ne rompt pas définitivement avec les stéréotypes Américains du "teen-movie" : football américain, bal de promo, élection de la Queen and King..., mais la réalisation va plus loin. Elle nous emmène derrière le décor lisse de cette banlieue puritaine, derrière ces visages et ces coiffures soignées et creuse la psychologie des personnages. Au même titre que les quatre garçons, nous sommes pris à témoin sur ce que la mélancolie profonde a pour conséquence : la mort.

L'amour obsessionnel et convulsif de l'adolescence, les moments magiques qui ne durent jamais, tout cela résonne encore, treize ans plus tard, comme étrangement familier.
Une œuvre parlante et indémodable.


Références
1 Hafid Aggoune – extrait du roman Quelle nuit sommes-nous ?
« L'adolescence est le temps où il faut choisir entre vivre et mourir. »
2 Aristote
3 Nicolas Rey pour Le Figaro Magazine
« Le mal de vivre n'a pas d'explication. Il avait des chansons. Il a trouvé son film. »

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